lundi 22 septembre 2014

Bielsa, le paladin



La manière la plus facile de comprendre un personnage est de s'appuyer sur un archétype qui nous offre une grille de lecture simpliste certes, mais à partir de laquelle on pourra épurer le flux d'information et nous permettra donc d'atteindre plus facilement le fond des messages. L’archétype comme le préjugé ne peut être qu'une première étape amenée à évoluer si on veut enrichir notre compréhension et il est donc nécessaire de rester ouverts et attentifs et d’enrichir aux fur et a mesures de nos expériences notre grille de lecture

Pour moi l'archétype qui s'impose c'est celui du paladin. 

Dans le sens moderne du terme, le sens post médiéval, le paladin est un représentant voire un porte parole d’une éthique idéale.  Héros chevaleresque symbole de vertu, il met ses compétences aux services d’une déité. Fidèle à sa parole, modèle de guerrier pour l’armée qu’il inspire, il est considéré comme le bouclier de l’éthique qu’il défend, parfois de manière obtuse et sans aucune compromission possible.

Le paladin est tout sauf un esthète ou un génie créatif (il le dit lui-même, il n’a rien inventé). C’est un soldat intraitable d’abord avec lui-même et qui puise sa force et sa volonté  de la cause qu’il défend. C’est le soldat qui après une bataille, continuera à s’entrainer, a répéter inlassablement les mêmes gestes jusqu'à la perfection. Et non pour la beauté du geste mais pour atteindre la brute efficacité au service de sa cause.

Cette cause est un absolu auquel il est complètement asservi, et le seul prisme par lequel il voit la réalité. Il est souvent perçu comme un être manichéen à la limite de la simplicité d’esprit. Il sera soit moqué pour sa lecture du monde, soit considéré comme condescendant ou prétentieux par ceux qui ne sont pas capable de la même rigueur morale, de la même rigueur envers eux mêmes

Et c’est une rigueur absolue. Ces heures de travail qu’il s’impose, ces heures de retraite studieuses sont à la limite de l’auto-flagellation.  Il vit un dilemme constant qui le dévore de l’intérieur. Il élève si haut la cause qu’il défend qu’il ne peut que en être indigne, tout en ayant la vanité de s’en faire un champion. Ce dilemme, il le vit au quotidien, assumant seul tout résultat, s’obligeant plus que les autres à tous les efforts et le tout sans pouvoir en tirer aucune satisfaction. Ce n’est jamais assez, ce n’est jamais assez bien. Les "échecs" sont vécus comme des drames, une trahison de la cause qu’il sert qui  lui rappelle de la plus cruelle des manières que non il n’est pas digne de défendre cette cause. Cela peut se traduire par des retraites longues comme après son échec argentin, la dévalorisation de tout son travail malgré une belle saison, ce sentiment de honte dont il parle souvent.

La vraie et seule folie de Bielsa, c’est d’avoir choisi comme cause le football. Son éthique, sa divinité c’est le football.  Le football en tant que jeu, Le football par l’intensité des émotions qu’il suscite, par l’attachement fanatique des supporters à leur club. Le parallèle, religion/football n’est pas nouveau et est un sujet éculé qu’on n’abordera pas ici.  La passion de Bielsa pour ce sport en tout cas, c’est cette passion religieuse. Toutes les anecdotes (son refus de quitter la rue face a un policier pour pouvoir tirer un corner, son sens du sacrifice quand il dit qu’il se couperait un doigt pour gagner le derby etc etc) prouvent que pour lui cela va bien plus loin qu’un jeu ou pire qu’un job comme le disent les joueurs actuels. Pour lui, il y a quelque chose de sacré dans le football qu'il faut défendre.



Tout le long de ses conférences de presses, des anecdotes glanées auprès de ceux qui l’ont côtoyé, on peut se faire une idée de ce qui est sacré dans le football pour lui. En bon paladin défenseur de la veuve et de l’orphelin,  le football c’est d’abord pour lui les supporters, les fans:  Leur foi et l’intensité de leur attachement à leur club, leur «naiveté » qui les font applaudir leur équipe même dans les pires moments représente pour lui la quintessence du football, ce pourquoi il est et ce qu’il faut défendre. Cet attachement complètement irrationnel c’est l’expression de ce sacré. Il transcende les personnes qui passent par le club, il transcende les résultats du club. Cela peut paraitre un peu étrange en France, mais dans d’autres nations de football il est commun de voir des gens ne vivre que pour leur club et au travers de lui (anglais fans absolus de leur club de 4ieme division, des couples argentins qui se séparent pour aller suivre leur équipe respective d’un bout a l’autre du stade…)

Les supporters viennent voir leurs héros se battre, montrer leur talent et les gestes de classe, tout donner pour survivre et avoir la chance de pouvoir se battre encore. Les supporters que leur héros du moment meurent ou pas, seront toujours là pour en faire naitre de nouveaux du moment que le spectacle reste unique, que l’incertitude soit intacte, que les valeurs qu’ils portent en eux et auxquelles ils s’identifient soient préservées

Ensuite, vient le club, les couleurs, l’entité qui sert d’écrin à cette passion. C’est le contenant, le véhicule qui doit être protégé, préservé.  C’est l’incarnation de ces valeurs qui suscitent les passions,  l’église qui doit être défendue même contre ceux qui la dirige. Dans l’histoire, les détenteurs de la « vraie » foi se sont retournés contre leur clergé plongé dans la corruption et la luxure.  Ceux qui font des fausses promesses, ceux qui vendent une victoire facile, ceux qui dénaturent l’objet de la foi par des raccourcis faciles, ceux qui détruisent les valeurs qu’ils sont censé porter, ceux qui instrumentalisent cette foi a des fins personnelles, par avarice, par fierté ou par paresse.

Au delà de simples promesses qui seraient tenues ou non, la plupart des clash avec ses directions sont le fait de la manière de faire de ces derniers. Qu’ils oublient au service de qui ils sont et il le leur rappellera. Qu’ils fassent de fausse promesses et il les exposera. Qu’ils viennent avec de mauvaises intentions et il les dénoncera avant de les quitter

Ainsi, pourquoi il faut le croire quand il nous parle en conférence de presse devient une question triviale. Puisque le supporter est la seule composante indispensable et sacrée du football elle est la plus précieuse celle qu'il faut protéger de toute démagogie, à laquelle il ne faut pas mentir et faire de fausses promesses celle qu'il ne faut pas tromper. Ce credo l’empêche donc de nous mentir, il explique le soin particulier qu'il apporte au vocabulaire qu'il utilise, sa méfiance vis à vis de tout  pronostic son allergie a toute starification d'un nouvel arrivé. Il explique également ce que "l'institution" signifie pour lui. L'institution ce n'est pas l'actionnariat, ni la direction, c'est l'ensemble des valeurs d'un club et de ses fans qui se rassemblent sous une même bannière. Lui même, le personnel, l'actionnariat la direction n'en sont que les composantes les plus volatiles et les moins importantes. Eux ne sont là que pour servir aux mieux de leur possibilité mais sans jamais ménager leurs efforts, et surtout sans trahir ces valeurs. La manière est aussi importante que la fin, le processus est aussi important si ce n'est plus que le résultat. Le résultat étant si volatile dans le football, c'est la manière dont on procède au final qui nous défini et qui fera que l'on aura respecté ce qui fait l'essence du football, les fans.

On dira que cette vision est démagogique, je dis que c'est la seule qui fait sens et à tout point de vue.
Elle nous ramène a ce qu'il y d'essentiel dans le football, loin des délires de millionnaires qu'on peut voir actuellement qui dénaturent ce sport et écartent les fans au profit de spectateurs. Cette vision romantique est en fait la seule à même de ramener du bons sens dans les gestions de chacun, de ramener les supporters dans les stades, de recréer du spectacle et de l’émotion. En bon paladin, Bielsa nous propose de "soigner" ce qui ne va plus dans notre club et peut être dans notre ligue 1, dans notre sport. Il le fait comme il le fait toujours, en nous rappelant qu'il est là par passion, que ce qu'il fait il le fait pour elle, et qu'il le fait dans le respect de principe sans lesquels elle n'aurait plus de sens.

Et si il énerve autant, c'est peut être qu'il semble, sans le vouloir, poser la question à tous les autres acteurs: Et vous, pourquoi êtes vous là?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire